Elles cadrent le travail des vignerons, s’assurent du bon déroulement des vendanges, font de la magie en cuverie et sont les égéries savantes des maisons qu’elles représentent. À Chablis pour Lucie, à Mercurey pour Anne-Laure, ce sont elles les vinicultrices !
Au sein du groupe Boisset, on les appelle « vinicultrices », un néologisme de bon aloi (aurait dit jadis un certain Maître Capello) qui marie l’art du vin, le travail du terroir et la connaissance. La culture qui ouvre le champ de la culture en un seul mot, il fallait y penser. Deux d’entre elles ont bien voulu parler d’une large mission qui va des vignes à la mise en bouteille, voire plus si affinités. Lucie, chez Moreau et fils à Chablis, Anne-Laure, chez Antonin Rodet à Mercurey n’ont pas pour autant la même vision de leur métier.
PRÉCISE LUCIE
Commençons par le nord de la Bourgogne, à Chablis. Lucie Depuydt à la responsabilité de 150 000 hectolitres de production, pratiquement rien en propriété. À 32 ans, cette jeune maman gère et accompagne le cahier des charges d’une vingtaine de vignerons. « Ce fut d’autant plus difficile au début que nous sommes dans une région agricole devenue viticole. Être une femme a imposé un grand sens de la diplomatie, c’en est devenu une force », résume la vinicultrice de la maison Moreau et fils. Son travail repose sur des bases scientifiques qui ont commencé un peu par hasard avec un DUT en biologie spécialité agronomie, puis un stage dans une région viticole espagnole qui lui a donné l’envie d’aller chercher un diplôme d’oenologie à Dijon. Dans le cadre de son ère « vigne et terroirs » et au profit d’un passage par la chambre d’agriculture de l’Yonne, elle réalisera une esquisse pédologique du vignoble de Chablis, tout en s’intéressant de près aux contraintes liées à la bonne gestion des produits phytosanitaires. Lucie est ainsi devenue une spécialiste du kimméridgien, ce sol qui colle à la peau du chardonnay dans le Chablisien. En 2007, le groupe Boisset lui confie le destin de Moreau et fils. « Je dois superviser la totalité du cycle de production, de la taille des vignes à l’élevage des vins en passant par les vendanges » résume-t-elle à propos d’une mission qui, selon elle, vise un seul objectif : « faire des vins dans un style chablisien non galvaudé, bons à boire dans leur jeunesse et prêts à vieillir. » Scientifique de formation, elle n’oublie jamais de chercher le juste milieu compris entre la technique et le naturel, à Chablis encore plus qu’ailleurs. Un Vaudésir ne vaut désir que s’il est bien préparé, avec la rigueur qui sied à tout produit transformé. Ainsi soit-il, ainsi soit Lucie…
INTUITIVE ANNE-LAURE
Anne-Laure Hernette, quant à elle, se dit plutôt intuitive dans son rôle. Avant de prendre en main les 42 hectares vendangés par Antonin Rodet à Mercurey, il est vrai que la jeune femme a baroudé par monts et par vignes. Très vite, elle s’aperçut ainsi que l’archéologie à laquelle elle se destinait lui laisserait moins d’avenir que le vin. Un BTS culture et oenologie en alternance, chez François Lumpp à Givry, acheva de la convaincre. S’ensuivront deux vendanges (2007) en Australie et Nouvelle-Zélande, puis six mois en Argentine, où elle se retrouve confrontée à d’autres réalités : « Là-bas, où je jouais avec les cépages, on ne transige pas avec une petite Française qui travaille dans le vin, on lui donne directement des responsabilités ! » De retour en France, un court passage par la cave de Tain-l’Hermitage puis un bail de quatre ans entre vigne et cave dans le Lubéron la conforteront dans son désir de revenir à son terroir de prédilection, la Côte chalonnaise. « J’y suis profondément attachée, depuis le souvenir des premières vendanges vécues au Clos Salomon. » D’autant que les appellations mercurey et rully ont pris de la hauteur, en toute lucidité : « Nos vins ne sont plus les petits vins auxquels on les résumait autrefois, nous sommes l’avenir de la Bourgogne et je suis bien dans mes bottes aux côtés de vignerons qui font désormais de la notoriété tout en restant au contact de leurs vignes, ce qui n’est pas partout le cas. » Tout sauf protocolaire, la vinicultrice s’inquiète déjà du moral de ses troupes, elle a « besoin de savoir comme l’équipe va bien ». Ici, les sols sont totalement différents de ceux du Chablisien, ils conviennent à son tempérament voyageur. Ainsi soient-ils, ainsi soit Anne-Laure.