On enfonce une porte ouverte, mais tant pis : la téléréalité est remplie de clichés fabriqués. Bimbo blonde un peu cruche, reine de la méchanceté ou séductrice vénale sont des personnages récurrents Adeline, Lucie et Véronique ont fait l’expérience de cette sacro-sainte logique du buzz. Trois Côte-d’Oriennes dévoilent leur vécu d’une machine à mensonges bien huilée.
Par Julie Letourneur
Photos : D.R.
« Dès le deuxième jour dans la villa, j’ai compris que Laurent (Ournac) était un acteur chargé de me tourmenter. Pourtant, la voix off et les bandeaux à l’écran n’ont cessé de répéter que j’ignorais tout de la situation. » Adeline, qui devait passer pour une jolie blonde naïve, s’est révélée bien plus perspicace que voulu. Originaire de Semur-en-Auxois, elle avait accepté, il y a onze ans, de participer à une émission pour trouver l’amour.
La jeune femme d’une vingtaine d’années à l’époque nous explique avoir été retenue après des mois de casting. Mais sur place, l’émission n’a rien à voir avec le concept qu’on lui a présenté. Prise au dépourvu, Adeline se lance tout de même dans l’aventure de Mon incroyable fiancé. Le scénario préfabriqué doit donner l’image d’une jeune femme inexpérimentée, n’ayant jamais quitté le cocon familial.
COUP DE PRESSION
Premier arrangement avec la réalité : la jeune femme n’est pas l’ingénue que TF1 a présenté à plus de 10 millions de spectateurs. « À 19 ans, j’étais partie vivre seule à Bora-Bora. Je n’habitais plus chez mes parents, je n’étais même plus en Bourgogne », explique celle qui gère un cabinet de reconnexion à Dijon et se nomme maintenant Angelina.
Plus tard, alors qu’elle arrive dans la villa et vit ses premières minutes de tournage, Adeline se souvient avoir lancé « c’est dur ». Deux mots anodins finalement diffusés au moment où elle découvre son incroyable fiancé obèse. « On voulait me faire dire des choses méchantes qui ne me ressemblaient pas », regrette celle qui, devant le fait accompli, risquait de renoncer. Mais les professionnels de la télévision n’ont pas manqué de ressources. « Les deux premiers jours ont été difficiles car je ne comprenais pas ce qu’il m’arrivait, glisse l’intéressée. On m’a alors rappelé que l’on avait investi de l’argent sur moi, que la doublure avait été renvoyée chez elle, que si je voulais faire de la comédie, je devais commencer par-là, que des dizaines de personnes travaillaient sur l’émission et comptaient sur moi… »
Conciliante et un peu aveuglée par la volonté de devenir comédienne, Adeline s’est prêtée au jeu. Elle a essayé de rester fidèle à elle-même tout gardant en ligne de mire les intentions de la boite de production. La jolie « fiancée » n’envisageait peutêtre pas d’impliquer ses proches dans l’émission. C’était sans compter les projets de la production. Une attitude qui lui reste en travers de la gorge. « J’ai été chamboulée de voir arriver mes proches dans la villa mais aussi de voir comment, hors caméra, on était agressif avec eux, on les poussait à bout pour les faire passer pour des gens horribles. On les cuisinait pendant des heures au point de faire pleurer ma mère. Même les cameramen se demandaient si ça n’allait pas trop loin. »
UN MÉCHANT, UN GENTIL
La jeune femme, finalement sortie victorieuse de l’émission, regrette aussi le comportement de son vrai-faux époux. « Alors qu’on avait tissé des liens qui me paraissaient sincères, Laurent a coupé tout contact, me dénigrant même dans ses passages télé. Je le voyais comme un ami, j’ai été très déçue. » Adeline conserve à la fois un souvenir ému de l’expérience et un regard indélébile sur le star system des anonymes du petit écran : « Dans la téléréalité, il y a toujours un méchant et un gentil. On croit ce qu’on voit car c’est bien ficelé et ça emporte le public. Pourtant, ce n’est que du paraître. Il y avait une grande part de fiction avec des sentiments parfois réels et parfois simulés pour qu’on y croie. » Et on y croit ! Les programmes de téléréalité sont rois à l’écran. Sur une île déserte, dans un restaurant, face à des éphèbes dénudés ou des Ch’tits en goguette, les « vraies personnes » sont régulièrement les instruments d’une manipulation à grande échelle. Une bonne partie est totalement complice et demandeuse : elle connait les règles du jeu et cherche à profiter de cette porte ouverte au fameux « star system ». D’autant qu’elles peuvent rapporter gros : un seul épisode de Koh Lanta est évalué à environ 4,5 millions d’euros de chiffre d’affaires. Les candidats sont alors une main d’oeuvre à bas prix qui permet de vendre des espaces publicitaires coûteux, des produits dérivés et d’inciter le téléspectateur à passer des coups de téléphone surtaxés. Le gagnant de l’émission n’est pas forcément celui auquel on pense. C’est aussi ça, la réalité.
UN DÎNER PRESQUE MONTÉ
Bonne cuisinière, Lucie a tenté Un dîner presque parfait lors du passage de l’émission en Côte-d’Or. Adressant des photos d’elle et de son domicile, elle a passé avec succès le casting. « Le problème, c’est qu’entre le moment où on m’en avait parlé et le moment où j’ai participé, l’émission a évolué sans que je ne la suive, faisant moins de place à la cuisine et plus à la critique », s’étonne encore la participante. Sous ses airs culinaires, l’émission n’échappe pas à la logique de l’audimat. Une logique qui façonne le caractère des protagonistes au besoin, pour faire germer la petite phrase. Lucie confie avoir eu du mal à digérer le procédé : « J’ai mis un mois à m’en remettre. Les équipes de tournage étaient très sympas mais le résultat après le montage ne me ressemble pas. »
“On finit par céder et dire ce qu’on veut nous faire dire.”
Sélectionnée pour sa grossesse, qui lui imposait un régime strict, Lucie apparait comme « la chieuse de service », constamment insatisfaite. « Le montage n’a gardé que mes critiques, aucun de mes compliments. Les questions posées étaient clairement orientées pour aboutir à un résultat prédéfini. J’avoue qu’avec la fatigue, à 4h00 du matin, on finit par céder et dire ce qu’on veut nous faire dire. » Le public, même conscient que la ficelle est un peu grosse, se laisse plus ou moins mener en bateau. Notamment grâce la voix-off, comme le confirme Lucie : « On ne se rend compte de cette manipulation qu’a posteriori. Les téléspectateurs se fient souvent à la voix-off sans s’interroger sur son bien-fondé. »
Au final, la jeune Côte-d’Orienne explique tout de même « avoir bien rigolé, même si cela ne transparaît pas toujours dans le résultat final ». Elle regrette enfin que les spectateurs ne soient pas plus conscients des supercheries : « Il faut garder à l’esprit que c’est de la télé, pas la réalité ! On transforme des personnes ordinaires en personnages de fiction. Si c’était vrai, on aurait vu ma cuisine en désordre ou bien les deux heures de retard dans la préparation… »
BIMBO D’IMMO
Agent immobilier dans le sud dijonnais, Véronique a accepté de se prêter au jeu des Chasseurs d’appart pour faire plaisir à sa fille. Cette professionnelle a su construire une solide réputation qu’elle ne pensait pas mettre en péril en passant à l’écran. Bien au contraire. Pourtant, elle garde « le sentiment d’avoir été décrédibilisée ». Là encore, le même refrain : « Nous avons été mis en scène, dirigés comme des acteurs, loin de la réalité du métier d’agent immobilier. »
Transformée en séductrice par des images bien choisies, Véronique ne se reconnait pas dans le personnage hyper féminisé qu’on lui a créé. Tantôt douces, tantôt sévères, les équipes de tournage usent de toutes les pressions acceptables pour que les acteurs d’un jour ou d’une semaine se plient au cahier des charges. « Tout est faux, ça ne reflète ni la vraie vie ni mon métier », finit par trancher Véronique qui jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.