« Glass ceiling. » Il y a des dizaines d’années, les Américains ont théorisé la difficulté d’accès des femmes aux postes supérieurs en entreprise. Sur la base de lois et d’une nouvelle génération décloisonnante, il serait temps d’inventer son remède, le plafond de verre étant encore d’actualité en Bourgogne et partout ailleurs.
Par Julie Letourneur Illustration : Philippe Müller
Il est là sans qu’on le voit vraiment. On le devine, quand même, ce plafond de verre. « Glass ceiling », comme disent les anglophones ! La formule a vu le jour dans les années 70 outre-Atlantique. Quarante ans plus tard, elle trouve encore une réalité en France. Les chiffres en disent souvent plus que des mots : en France, en 2012, elles étaient 900 000 indépendantes ou dirigeantes d’entreprise, quand leurs homologues masculins étaient deux fois plus nombreux selon l’INSEE. Des chiffres à nuancer : d’abord parce que l’épanouissement professionnel ne passe pas forcément par la gestion d’une entreprise. Ensuite parce que l’idée d’une parité parfaite est finalement assez utopiste. Aussi parce qu’il y a des signes d’amélioration, notamment dans les grandes entreprises.
En 2017 les femmes occupent plus de 35% des conseils d’administration contre 8,5% dix ans plus tôt. Cette année, l’entrée en vigueur de la loi Copé-Zimmermann obligeant les entreprises cotées ou de plus de 500 salariés à compter au moins 40% de femmes dans leur CA devrait accentuer cette tendance. Côté politique, 223 femmes occupent un siège de députée à l’Assemblée nationale. Un joli chiffre en apparence mais qui n’équivaut qu’à 38,6% des effectifs de l’hémicycle. Plus proche de nous, sur treize régions, trois femmes, dont Marie-Guite Dufay en Bourgogne-Franche-Comté, ont pris la tête de la collectivité. Alors, mythe ou réalité ?
Subalternes
Pour Matthieu Gateau, maitre de conférence en sociologie à l’université de Bourgogne, le plafond de verre n’est pas une vue de l’esprit. « Ce plafond invisible, donc vicieux, freine les femmes dans leur avancement professionnel par rapport aux hommes. » Résidu d’une société patriarcale, le plafond de verre cantonne les femmes à des secteurs définis comme le social, l’éducation ou la petite enfance. « Globalement, la société fait moins confiance aux femmes. Il y a une ouverture mais elles sont maintenues à des postes subalternes quand elles pourraient avoir plus de responsabilités », explique le sociologue.
La chieuse et l’homme d’initiative
Pendant dix ans, Myriam Chanhih a tenté de gravir les échelons dans l’univers bancaire en postulant aux offres dans son groupe. Sans succès : « Malgré mes bons résultats, il y avait toujours une bonne raison. J’étais trop jeune, ce n’était pas le bon moment dans ma carrière, il fallait privilégier les anciens, je voulais aller trop vite… » Des prétextes qui ne tenaient plus quand les jeunes diplômés qu’elle avait encadrés et formés, obtenaient avant elle les postes convoités. Pire, elle était encouragée à poursuivre ses efforts. Femme de caractère, Myriam n’hésitait pas à remettre en question certaines décisions et certaines pratiques. « Alors que mes collègues masculins étaient force de proposition quand ils voulaient changer les choses, j’étais reléguée au rang de chieuse insatisfaite. Contrairement à eux, je n’étais pas payée pour réfléchir ! » Cerise sur le gâteau, elle a choisi de fonder une famille. Se sentant déjà freinée dans son désir de progression, sa maternité aurait pu avoir raison de ses derniers espoirs. Mise au placard pendant plusieurs mois, elle profite de son retour post-bébé pour solliciter un poste de responsable d’agence en s’appuyant sur dix années d’expérience. « Après cette absence, on m’a dit que je devais refaire mes preuves malgré les bons chiffres salués en entretien individuel avant mon départ. Après ma grossesse, je devais repartir de zéro… » En dix ans, Myriam Chanhih aura postulé six fois pour évoluer, sans jamais obtenir satisfaction. Qu’à cela ne tienne, elle a trouvé sa solution en devenant son propre patron, faisant voler en éclat son plafond de verre.
Des compétences au-delà du genre
Heureusement, certaines entreprises ont compris que le leadership n’avait pas de genre. Catherine Minaux, directrice régionale d’Engie Bourgogne-Franche-Comté fait partie de ces réussites au féminin. Dans un secteur de l’énergie, plutôt perçu comme masculin, elle a su imposer ses compétences. « Je ne me suis jamais posé la question du genre dans mon parcours. J’ai postulé pour être responsable d’exploitation, un emploi plutôt destiné aux hommes sans doute car les femmes n’y allaient pas. » Pour parler de sa progression, Catherine Minaux met l’accent sur les valeurs que lui ont transmises ses parents et de l’exemple donné par sa mère, femme active. Pourtant, bien qu’elle ne voit pas le genre comme un frein à sa carrière, elle se souvient avoir dû faire ses preuves. « À 30 ans, j’ai dû présenter un dossier à une compagnie pétrolière. Je crois que les représentants ne s’attendaient pas à voir une femme. On me souriait gentiment, on me regardait un peu surpris ; je sentais que je devais convaincre. Je ne me suis pas démontée et je les ai accrochés avec mes compétences et mon professionnalisme. »
Autocensure
Bottes au pied et casque sur la tête, l’actuelle directrice a gommé les différences liées au sexe. Désormais à la tête de la délégation régionale, elle insiste sur l’indispensable mixité au sein des équipes pour atteindre une plus grande performance économique. « Les différents âges, origines, sexes, sont les ingrédients de la réussite. En prenant toujours les mêmes profils, on n’innove pas. » Malgré sa réussite, Catherine Minaux n’en est pas pour autant aveugle et voit le plafond de verre que d’autres supportent.
Si les hommes peu enclins à partager le pouvoir ne sont pas une denrée rare, les femmes ont aussi une part de responsabilité. « Elles doivent oser postuler, ne pas se réfugier derrière le plafond de verre mais plutôt aller là où on ne les attend pas. »
Matthieu Gateau partage son point de vue. « Les femmes appliquent une sorte d’autocensure en ayant intégré cette domination pensant que le jeu est biaisé ou en se dévalorisant. Il est inquiétant de voir comme ce mécanisme est ancré car les lignes auront d’autant plus de mal à bouger. » Devant cette tendance à la renonciation, une autre femme monte au créneau. Laurence Berthoud-Lafarge, présidente de Kelles Energies, réseau d’échanges dédié aux femmes, pense tout simplement que le temps et les nouvelles générations feront changer les choses en profondeur : « Le plafond de verre existe dans la tête et dans les pratiques. Les femmes pourront changer les mentalités si elles arrêtent d’accepter ce plafond invisible. » Les compétences passent avant le genre.
La femme est un Homme comme les autres, après tout !